SOUVENIRS D'UNE ENFANCE HEUREUSE À MARRAKECH,
une histoire racontée par Maurice CALAS
Puisque tu aimes les souvenirs je vais te conter une aventure qui est arrivée à toute la bande de mes copains aux environs de 1941/42, je ne pense pas que tu en faisais déjà partie..
Tu te souviens du moulin à grain au bout de la rue qui devait à l'époque s'appeler "des Doukala", plus tard elle s'est appelée "Maginot"à présent c'est la rue "Sourya"; l'eau d'une séguia qui faisait tourner sa pierre venait de loin peut être du bassin de la Ménara en tous cas elle sortait de terre à l’angle Nord Ouest du Lycée Mangin (devenu Ibn Abbad) de l’autre coté de ce qui est aujourd’hui l’avenue Moulay Hassan, suivait l’actuelle rue El Iman Chaaffi (ex rue Géronimi ), passait à proximité d’une Rhettara effondrée derrière le commissariat central sous lequel elle disparaissait, traverssait la place du 7 septembre et réapparaissait à la pointe de la rue Loubiano (ex rue Painlevé) coulait sur environ cent cinquante metres, puis traversait le jardin de la maison Cartier qui était à l'orée de la place. Juste à la sortie du passage de la séguia sous le mur, tu devrais te souvenir de l'énorme figuier qui plongeait ses racines dans l'eau claire, son tronc devait bien avoir 70 à 80 cm de diamètre et je pense qu'Adam et Eve devaient avoir les mêmes feuilles pour cacher leur nudité en présence de l'Eternel après leur manque de confiance traduite par péché ou désobéissance dont l'humanité subirait toujours les conséquences.....
La branche maîtresse de cet arbre remarquable servait régulièrement de perchoir confortable pour les réunions des six à huit garçons de la bande, pour discuter de nos jeux, ou préparer quelques incursions dans le jardin derrière le moulin, pour chaparder des fruits et défier les deux gardiens qui nous ont bien souvent fait courir plus vite que le vent, tu as aussi connu çà...., je n'en doute pas.
Ce jour-là, la rencontre avait un tout autre objet : Nos économies de petits sous mises bout à bout nous avaient permis de nous procurer un paquet de cigarettes mentholées avec la complicité d'un grand qui était allé l'acheter ; je ne me souviens pas si c’était Hypert, Geydan, Nicolaï ou Lefol ; il en avait évidement prélevé sa part ; Il nous en restait suffisamment, pour tirer béatement des bouffées d'odorantes fumées bleues jusqu'àépuisement du stock. Tout se passerait bien tant que les parents n'en sauraient rien.
Au bout de la rue sur le côté droit habitait la famille C . Le Père C , greffier au tribunal était originaire de St Gaudens et avait l'accent chantant et rugueux des pyrénéens qui roulent les R comme d'autres les cigarettes, il élevait une marmaille de garçons et filles, au moins cinq, de un à sept ans, plus une fille première née de deux ou trois ans notre aînée, qui nous faisait faire des dînettes pour le goûter sous les mûriers de mes parents. Elle s'appelait Régine, gentille et jolie blonde dévouée à torcher et promener ses frères et soeurs, et à s’occuper de la basse cour de poules et canards qu'elle conduisait tous les soirs se dégourdir les pattes et prendre un bain dans la séguia.
Le père C..... ancien adjudant, m’avait–on dit, menait tout son monde à la baguette et ne se gênait pas pour nous reprendre nous aussi, s'il constatait quelques incartades, aussi nous étions mal à l'aise en sa présence. Ce soir là rentrant du tribunal sur sa bicyclette qui fut de course, à cause du guidon, la serviette de documents pendue au cadre par son rabat, il s'est approché de la séguia regarder patauger les canards surveillés par Régine.
En se penchant en arrière pour enlever les pinces qui serraient son pantalon aux chevilles, il a remarqué les volutes de fumées qui s'élevaient vers le ciel au travers des feuilles du figuier dans l'air calme du soir.
Alors est sorti de sa gorge un rugissement qui nous a mis en alerte;
"Rrrrégine .....viens ici,... carogne, -- Oui papa ? -- Ce figuier,… il fume ? -- Non papa -- "
Cachés par les immenses feuilles de l'arbre nous n'en menions pas large, car le bougre n'aurait pas manqué de tout dévoiler, on sentait déjà les lanières du martinet caresser nos petites fesses roses.
Un nouveau rugissement digne du roi de la jungle nous a littéralement fait fondre de trouille.
" Rrrrégine je te dis que ce figuier fume !-- non papa -- Je te dis qu'il fume ! -- mais Non papa ! -- Alorrrs j'ai la Berrrlue "
Et le bonhomme de rentrer chez lui retrouver sa chère moitié et sa nombreuse progéniture.
OUF ! de OUF ! Bien heureuse Berlue ,Nous étions sauvés pour cette fois-là...............
Merci Régine!
Nous n'avons pas tardé a dévaler de notre perchoir et à noyer les preuves de notre désobéissance dans la séguia, laissant le courant les emporter vers la turbine primitive du moulin avant d’échouer dans quelque planche de carottes ou de radis........ Et pour rentrer chez nous nous avons pris soin de passer le long de la place et revenir par la rue Orthlieb (Tarir ibn Ziad) Jusqu'à l'hôtel de la Palmeraie, sage, comme des gamins revenant du catéchisme. Mais de ce jour, si nous avons poursuivi nos réunions dans le figuier nous sommes allés cloper ailleurs, peut-être une fois encore à cause du prix et des sous qui étaient si longs et si durs à gagner.
Rassures-toi cher ami, il nous en ai arrivé d'autres mais pas comme celle-là, qui s'est gravée dans nos mémoires à cause de la sainte trouille qu'elle a provoquée.
A bientôt ... Maurice.
Marrakech-Guéliz – rue Sourya 1959, au fand les jardins, le moulin et le figuier étaient à droite.
Quinze photos du même quartier en mai 2013
Essayez de vous souvenir pour chaque photo, quelle rue et qui habitait là avant ?
Merci à Maurice qui nous fait revivre les rues de son quartier, son coin du Guéliz. Essayons de retrouver les noms de ceux qui autrefois habitaient dans ces rues ? Partageons nos souvenirs dans les commentaires.