Les souvenirs de notre enfance et adolescence à Marrakech nous habitent et quand nous les partageons ils permettent de retrouver la mémoire et aussi les amis perdus de vue. Franck a habité la rue du capitaine Grall au Guéliz, il raconte son histoire. Il témoigne des années 70 à Marrakech, celles de ses 15-18 ans dans la famille d'un militaire en coopération à la Base aérienne de Marrakech.
© Rappelons que ce récit fait partie des éditions Chkoun Ana au titre protégé. Il ne peut être reproduit pour publication sans la mention du blog Mangin@Marrakech, de la date d'édition (24/09/2016), et surtout sans l'autorisation écrite (à demander à l'auteur du blog). Franck savait, avant même d'arriver à Marrakech qu'il en repartirait dans quatre ans, il se savait de passage, pourtant le souvenir de la Ville rouge est ineffaçable.
SOUVENIRS DE MON ADOLESCENCE À MARRAKECH 1972-76
Je suis arrivéà MARRAKECH avec ma famille fin 1972, j'avais presque 15 ans. Nous sommes partis de ROCHEFORT S/MER en voiture (Peugeot 404 blanche) et avons traversé l'ESPAGNE. puis en bâteau jusqu'à TANGER, et nous avons continué jusqu'à MARRAKECH! Nous étions quatre, ma mère, ma soeur, mon beau-père et moi.
De passage à Rabat, Franck, sa mère et sa petite soeur Sylvie BOURREL (Photo Henri Bourrel)xxxxxxxxxxxxxxxMon beau-père, Henri BOURREL, était instructeur dans l'armée de l'air marocaine et portait l'uniforme marocain ! Auparavant il était en poste à la Base aérienne de Rochefort, également instructeur sous officier. L'armée de l'air marocaine avait demandé des instructeurs militaires français de différentes spécialités techniques; donc coopération militaire dans le domaine aérien.
Avant 1972 l'école des sous officiers de l'armée de l'air de Rochefort s/mer accueillait des jeunes militaires marocains en formation dans différentes matières théoriques et pratiques; mon beaupère y était instructeur dans sa spécialité de technicien radio (niveau brevet professionnel), à cette époque il était adjudant. En 1972 les FRA (Forces Royale Air) créent le même type d'enseignement sur la base aérienne de Marrakech commandée par le colonel ALAOUI. Un appel à candidature fut lancé pour y enseigner. Mon beaupère fut volontaire, et sa candidature retenue. Il arriva à Rabat le 28/8/1972 au titre de la coopération technique air N°03/875 pour enseigner à la Base aérienne de Marrakech; il y restera jusqu'à fin aoùt 1976.
Le chef des coopérants français pour la base aérienne de Marrakech était le capitaine CHARLY et un médecin militaire français était responsable de l'infirmerie le capitaine Jean BENOIT. Les instructeurs devaient pendant les heures d'instruction sur la base porter la tenue militaire des FRA. Les coopérants français étaient regroupés avec leurs familles dans un quartier de Marrakech, les petits immeubles rue du Bani et rue du Cne Grall. Ensuite certaines familles obtinrent une petite villa, non loin du Consulat de France et du lycée Victor Hugo.
Je me souviens des noms de plusieurs familles de sous-officiers: adjudants-chefs RÉVEILLÈRE, et PAILLAT et aussi FORTUNATI, FERRANDIN, BOUX,etc...
Ces militaires furent intégrés dans l'armée de l'air marocaine tout le temps de leur contrat et portèrent de ce fait l'uniforme marocain!!!
Accroupis X, Henri BOURREL, X, X. Deuxième rang A/C PAILLAT, X, X, X, X. Troisième rang X, A/C REVEILLERE, X, X, X.
Les familles de ces militaires regroupées dans un ensemble de six immeubles, initialement rue du capitaine GRALL formèrent une sorte de communauté le temps de leur séjour à MARRAKECH. Tous étaient très proches et se rencontraient souvent; d'autant que leurs enfants étaient scolarisés dans les établissements d'enseignement de proximité.
Soirée entre familles de militaires: De gauche à droite: Sylvie Bourrel, Jeannette Réveillere, Jean Luc Réveillere, Isabelle Réveillère, Franck Mauviel, Denise Bourrel, Brigitte Réveillere et Claude Réveillere.
Nous habitions tout près du LVH, lycée Victor Hugo et de l'école Renoir. Ma mère travaillait au secrétariat du LVH, mais n'y resta qu'une année. Ultérieurement mes parents obtiendront une villa, j'allais donc au lycée à pied.
Mon parcours: après la 3e, seconde A.4 de 1973/1974. puis j'ai redoublé de 1974/1975, enfin première A4 de 1975/1976. BEPC passéévidemment en troisième; et bac français en juin 1976 avant de rentrer en France.
Les professeurs à cette époque: MM. Blondia, Abitbol, Sanseigne, Capdevielle, Mme Fantoune,... Monsieur Vey était agrégé d'histoire; Mme Vey également professeur d'histoire notait très sec!!!
Ma classe de troisième est marquée par deux professeurs attachants M. BLONDIA pour les maths et M. SANSEIGNE pour le français. Le premier enseignait les mathématiques avec brio pour les équations et les identités remarquables; c'était un petit homme sec qui gesticulait beaucoup au tableau!! sa méthode de travail alliait beaucoup de répétitions sur des choses basiques; et l'élève le moins douéfinissait par "imprimer"!! Je me souviens qu'il donnait au LVH des cours particuliers de soutien...et il y avait de la demande!! Ce professeur de maths était même drôle. Patrick FORTUNATI se rappelle une fameuse phrase alors que la fin du cours avait sonné : "je vous le dit parce que je n'ai pas le temps de vous le dire!!!"
Le second enseignait le français avec beaucoup d'humanité et d'indulgence, il portait la moustache et notait avec justesse.j'avais toujours 15 ou 16 de moyenne avec lui. Quelle déception avec M. CAPDEVIELLE!! je l'ai eu pour ma première seconde et pour la première fois, avec lui, je suis devenu ...mauvais en français alors que c'était mon atout depuis toujours.
Cela m'a valu de redoubler car je n'avais plus mon joker par rapport aux maths qui n'étaient pas mon point fort. Le plus ironique c'est que le premier devoir avait pour sujet un thème qui concernait le comportement social "LA FETE DES FOUS" ( se libérer occasionnellement permet de mieux supporter ensuite le bridage de la société).J'ai eu ses félicitations devant toute la classe; et puis ce fut terminé ! que des notes médiocres jusqu'à la fin de la saison scolaire!!
Mme VEY était un professeur chevronné, elle connaissait son affaire; mais un 10 ou un 11 était déjà une bonne note avec elle!! Si je me souviens bien, 13 était exceptionnel. Le plus souvent cela tournait autour de 8 ou 9 ...et il fallait s'estimer heureux! C'était sa manière de voir! Il fallait donc "bombarder"dans les autres disciplines.
Monsieur ABITBOL était un excellent professeur de mathématique. Quand j'étais son élève, c'était déjà un professeur chevronné; toutefois il me semblait manquer un peu de fantaisie pour captiver durant les études de fonctions. On lui confiait les secondes, premières et terminales.
Il pratiquait des interrogations surprises quand il n'était pas content!!! Marie Cécile Renault, une lève de ma classe s'en souvient, elle avait été interrogée soudainement au tableau, parce que la classe séchait sur une étude de fonction.
Une autre élève me prenait pour modèle lors des cours de géographie et dessinait mon profil. J'ai gardé mon portrait réalisé pour moi par Nadia YASSINE. (En 2003 elle publiera "Toutes voiles dehors"). C'était ma dernière année à Marrakech, 1976.
Découverte de scorpions apeurés sur le sol; autour de notre immeuble! Nous faisions connaissance avec les autres familles de coopérants militaires; et même des civils comme madame BOUQUIN qui travaillait au secrétariat du LVH et ses deux filles: Véronique et Maryline. Je me souviens de "Boums" chez elles!
Époque heureuse de mon adolescence; où garçons et filles se côtoyaient sympathiquement. Il y avait les "boums" et surtout la POP MUSIC: c'est le temps des PINK FLOYD; BEATLES; DEEP PURPLE; LED ZEPPELIN; etc... et les échanges fébriles de cassettes audio; notamment avec Patrick FORTUNATI, mon grand ami de cette époque. Nous n'étions pas encore dans le numérique!!!l Les fils ROSATI écoutaient du ROCK de cette époque, par exemple "why dontcha" de WEST, BRUCE and LAING !!!
Jean-Jacques MÉRIGON était un inconditionnel du groupe MAGMA ! Jean Claude PICARD en sport au LVH devait être en seconde C. Je me rappelle aussi d'un grand garçon avec Jean GIGOMAS et de Laurent ZADERATSKY qui s'est interesséà mon retour en France en 1976.
Ayant commencé le JUDO à ROCHEFORT, j'ai naturellement continué avec le club local: le JCKM. J'avais connu Guy THOMAS avant Marrakech et j'avais été impressionné par la valeur de ce grand professeur de Judo. Il était devenu par la suite un ami de mes parents. Le judo était l'occasion de se réunir.
Fin de stage du JCKM à l'hôtel Riad, de gauche à droite: X, Mr STEINMETZ, Mme STEINMETZ, Guy THOMAS, Denise BOURREL, Capitaine Jean BENOIT, Mme BENOIT. De dos: peut-être un des fils ROSATI et Mme ROSATI?
Le JCKM comprenait pour moi des amis comme Gilbert OIKNINE et grâce à Guy THOMAS un grand nombre de militaires coopérants s'y inscrirent. C'était une autre occasion de se retrouver.
JCKM 1975, de gauche à droite: Rang debout: A/C PAILLAT, X, X, Capitaine CHARLY, X, X, X, X. Rang à genoux: X, X, X, Guy THOMAS, Henri BOURREL, Denise BOURREL, les assistants du JCKM: MM. DELOBEL et STEINMETZ.
Les anecdotes du judo fourmillent! Nous étions partis par exemple vers 1973 en compétition à CASABLANCA avec une voiture fiat 500... surchargée de judokas. bilan perte de contrôle et deux tonneaux!!!
j'ai été le seul indemne (on était à deux voitures) et j'ai absolument voulu continuer! et j'ai décroché le titre de champion du MAROC dans ma catégorie.
Dans mes souvenirs du JCKM je me souviens être allé plusieurs fois chez M. et Me ROSATI. Eugène ROSATI, le président du JCKM m'a fait découvrir la méthode KAWAISHI de JUDO à travers de petits manuels bien connus.
La famille ROSATI habitait dans le centre du GUELIZ mais je ne saurais plus situer exactement l'endroit.
Le JCKM était un club attachant. Je me souviens de la visite d'une équipe allemande un soir au club.. ils nous ont mis une raclée en RANDORI (combat)!! Je m'étais retrouvé planté sur la tête par un mouvement d'épaule (morote-seoi-nage). Le JUDO de SLIMANI, notre maître au JCKM, était bien plus rustique que celui bien huilé de ROCHEFORT ! Par exemple un mouvement d'épaule après un arraché de la garde. et rentrer à gauche .
Je discutais un jour avec Eugène ROSATI assis sur le tapis: ce dernier me trouvant un peu trop sûr de moi du haut de mes 16 ans... se jeta brusquement sur moi pour me flanquer une leçon!! Je ne sais pas encore aujourd'hui comment je fis; mais je lui passais une superbe "planchette japonaise"(tomoe - nage) qui calma d'emblée la situation!!
Ses fils Jean-Antoine et Pierre faisaient des études de médecine à TANGER. La-bas ils s'initiaient à l'AIKIDO. Au JCKM Pierre nous montrait des techniques.
Jean BOUX était un judoka étonnant. il possédait un mouvement de hanche magique (uchi-mata) ;simplement en sursautant sur sa jambe d'appui et rentrant ...il faisait voler ses adversaires!! on sentait son opposant déjà condamné d'avance.
Le JCKM fit venir Guy THOMAS, un professeur de judo de Rochefort, une "pointure", qui était un ami de mes parents et logeait à la villa. Guy THOMAS s'est très vite "coulé" dans l'univers de MARRAKECH; non seulement dans le judo marrakchi, mais aussi dans le pays. Les alentours de MARRAKECH l'ont beaucoup interessé, ainsi que le HAMMAM en compagnie de mon beau-père. Celui-ci a d'ailleurs poussé un cri de douleur quand le masseur marocain l'a forçéà se cambrer pour parfaire l'ensemble. Le café de LA RENAISSANCE près du cinema LE COLISEE était le lieu privilégié de nos détentes après les compétitions.
Je n'ai pas pu faire le stage de judo de 1976 car j'ai attrapé la jaunisse ; c'était un comble pour un judoka!!
Durant toutes ces années l'envie de pratiquer le KARATE me taraudait. je l'apprenais avec des livres,.. et je m'entraînais dans le jardin de la villa où grâce à Eugène ROSATI qui dirigeait une entreprise de construction nous disposions d'une piscine artisanale. Un jour j'abandon -nerai le JUDO pour le KARATE SHOTOKAN. xxxxxxxxxxxxxxxxxx
Il y avait aussi les cinémas de MARRAKECH: le REGENT, le LUX, l'OLYMPIA et le COLISEE. Ce dernier était le plus chic et le plus cher; à côté du café de la Renaissance. Un seul film au programme du Colisée. Les autres projettaient deux films avec des coupures! c'était la déferlante des films de KUNG FU et des films de...vampires! seventies obligent!
Cliché JMBerger
MARRAKECH, offrait deux villes en une: le GUÉLIZ et la MéDINA.
Un jour un camion m'a renversé devant le LVH et j'ai failli y rester; au lieu de tendre ma main pour tourner j'ai tendu mon pied! j'étais en SOLEX et venais de voir une affiche de BRUCE LEE.
Le conducteur marocain avait des freins douteux; et peu en rêgle! Mon SOLEX était pulvérisé: blessé légèrement mais le visage ensanglanté je me suis présenté devant ma mère: "maman, j'ai eu un accident!!" Mon SOLEX n'était plus réparable, il fit l'objet de récuperations de pièces!Tout s'est quand même bien terminé.
Pêle-mêle dans cet aperçu de souvenirs je retiendrai les pêches miraculeuses au lac CAVAGNAC (Lalla Takerskout); un peu de ski à l'OUKAIMEDEN avec la famille CHARLY et aussi les camions chargés de marocains de la MARCHE VERTE en direction du désert espagnol.
Mes vacances d'été je les passais en FRANCE (parents divorcés).
J'ai quitté le MAROC tout simplement parce que mon beau-père avait fini son contrat d'instructeur militaire: j'ai suivi mes parents!! Le contrat avec l'armée de l'air marocaine correspondait pour moi à 4 saisons scolaires au LVH. Mon beau-père a été muté ensuite à la base aerienne de LUXEUIL LES BAINS.
Mais c'est une autre histoire!!
Au LYCEE VICTOR HUGO ce qui me frappe avec le recul des années c'est l'harmonie de cette diversité: marocains musulmans et juifs, français et autres... tout le monde s'entendait bien à cette époque. Garçons et filles nouaient de sympathiques relations dans la francophonie prônée par ce lycée de mission universitaire française.
Les photos de groupe, je pense, le font sentir: regardons chaque visage! sentons ce qui se dégage de tel ou tel groupe!! et pourtant il y a déjà beaucoup d'années.
Et que dire des professeurs de cette époque; chacun est devenu une sorte d'icône dans la mémoire de ceux qui ont connu cette époque particulière.
Enfin ,en ce qui concerne la coopération technique d'instructeurs français, comme pour Henri BOURREL,dans l'armée de l'air marocaine tout s'est fait également sans soucis.
Les noms me reviennent: REVEILLERE; PAILLAT; BOUX; FERRANDIN; FORTUNATI; etc... pour les sous-officiers instructeurs de cette époque, bien sûr les communautés françaises et marocaines (pour citer les principales) ne fusionnaient pas; mais cohabitaient harmonieusement.
Ceci dit les français étaient quand même ensemble: piques-niques autour de MARRAKECH: vallée de l'OURIKA, Lac CAVAGNAC,etc...
Tranches de vie révolues qu'illustrent pour la postérité ces photos anciennes, tout ceci est passé comme un rêve.
Franck Mauviel
Merci à Franck de nous avoir conduit dans notre ville bienaimée à l'époque des années 70. Il a fait sa vie loin de Marrakech, mais n'a jamais oublié la ville de son adolescence heureuse. Aujourd'hui il a un peu changé, mais reste toujours attaché.
© Ce récit fait partie des éditions Chkoun Ana au titre réservé. Il ne peut être reproduit pour publication sans autorisation écrite et sans la mention de l'édition. Mangin@Marrakech, 24 septembre 2016.