Une promenade récente par Jean-Yves Tramoy nous montre quelques témoins de l'architecture de Marrakech entre 1912 et 1940. C'est la fin de l'époque "Art nouveau" et l'essor de l'époque "Art déco" particulièrement importante au Guéliz, rares sont les villes qui ont autant d'immeubles et de villas de cette période. Il y a à Marrakech beaucoup d'oeuvres architecturales qui se rattachent à ce mouvement artistique d'architecture-décoration; le premier mouvement de diffusion internationale puisqu'il a conquis New-York et l'Amérique, de même que l'Afrique du Nord, l'Asie, la Nouvelle Zélande, l'Australie, ...
Marrakech a eu ses architectes "Art déco"; notamment P. Sinoir et R. Poisson qui ont créé la villa-atelier du peintre Majorelle, mais également la Mairie de Marrakech, les tribunes du Parc des Sports, les villas du Baron de la Fontaine, de monsieur Alleau et de l'entrepreneur Chaudessaygues, les pavillons de l'hôpital Ibn Zohr et aussi l'hôtel Majestic ouvert en 1928, devenu l'hôtel Koutoubia, que son propriétaire actuel laisse tomber en ruines. Paul Sinoir avait fait l'École nationale des Beaux arts de Paris et commencé en 1923 dans la capitale associé avec l'architecte Pol Abraham. Majorelle le fit revenir à Marrakech et il s'associa avec P. Poisson, architecte D.P.L.G.
Les architectes Mreches et Bellanger réalisèrent le Casino de Marrakech, l'immeuble Salort, l'immeuble Voutnatsos et bien d'autres. Il nous est permis de révéler aux Marrakchis que Emmanuel Bellanger et Jean-Pierre Mreches ont créé leur cabinet d'architecte en 1932 et sont restés à Marrakech jusqu'en 1940. Bellanger était un ancien élève des Arts décoratifs de Paris, Mreches avait fait l'École des Beaux Arts; il était architecte des "Habous" ( biens religieux musulmans avec entretien des palais, hammams, mosquées etc ), il a participé aussi à des travaux pour la Santé Publique ( maternité, internat..) pour l'Instruction Publique ( écoles rurales ) pour des clients privés ( le "Renaissance " salle de spectacle attenante, ou presque, cinéma " Mabrouka" en médina) et aussi de gros travaux à Agadir ( aménagement du port et des halles et casernement pour l'aviation ).
Le style Art nouveau se caractérise par l'utilisation de motifs naturels, imitant principalement les végétaux, le mouvement Art Déco se traduit par une simplification des lignes et des volumes avec intégration de motifs décoratifs utilisant les techniques de décoration locales. C'est ainsi qu'on remarque une toiture typiquement marocaine avec des tuiles vertes vernissées couvrant la villa Majorelle et on pouvait voir des zelliges et des oeuvres de ferronnerie ouvragées sur l'hôtel Majestic/Koutoubia.
Le Jardin du peintre Majorelle dans son écrin de verdure féérique
A Marrakech, qui ne connaît le Jardin du peintre Majorelle? Trop modestement nommé ainsi tant il mériterait un nom plus majestueux tel que « Merveille absolue de Marrakech ».
Les millions de visiteurs annuels ne s'en lassent pas, excepté peut-être les jeunettes asiatiques qui jouent aux starlettes et s'y photographient mutuellement, changeant de tenue plusieurs fois pour des clichés qualifiés de « mannequins ». Une fois choisi le cadre de leurs ébats photographiques elles ne prennent même pas le temps de déambuler dans le jardin, ni même de fréquenter la librairie, le musée. Non rien !
Rien sinon la couleur du fond pour mettre en valeur leur costume et leur pose. Sitôt cette manie satisfaite, elles filent près du car attendre leurs compatriotes, impatientes sans doute d'accrocher le prochain site à leur « beauty book ».
Photo 1 l'entrée du jardin.
Dès la porte d'entrée le visiteur est accueilli par un magnifique rideau de fleurs roses.
N'oublions pas l'artiste qui inspira la naissance du jardin, Jacques Majorelle, peintre orientaliste créateur de la célèbre teinte éclatante à laquelle il laissa son nom. Le nancéien d'origine a arpenté le sud et peint sur la toile de nombreuses casbahs, des paysages magnifiés par son choix des couleurs, appuyées ou adoucies selon la lumière, pour imprimer ombres et relief. (Les Orientalistes Jacques Majorelle, de Félix Marcilhac, ACR éditions, ou du même auteur : Jacques Majorelle (1886-1962) : Répertoire de l'oeuvre peint).
Photo 2 la casbah dans le sud.
Revenons aux vrais admirateurs du lieu patientant à la caisse, tant il y a de volontaires pour découvrir le décor fabuleux qui les attend dès le premier carré par un « bouquet » de cactée en fleur, fleurs inaccessibles protégées par des aiguilles acérées.
Les couleurs vives à dominante de ce Bleu Majorelle tranchent vivement entre elles : les ocres du sol le disputant au rose des murs, les jaunes « moelleux » des fenêtres et des grilles s'opposant aux jaunes acidulés ou verts tendres des jarres disséminées ça et là.
Photo 4 matériaux et couleurs en harmonie.
La bâtisse centrale se dresse, altière, dans une clairière de cette jungle de plantes exotiques, en bout d'un long bassin dans lequel se prélassent quelques familles de grenouilles et de poissons.
Photo 5 le bassin aux nénuphars.
Photo 6 la bâtisse et le bassin carré.
Des jardiniers s'affairent sans cesse autour des massifs, ôtant la moindre herbe indésirable, chassant les feuilles mortes, redressant un fût de bambou paresseux, éliminant les fleurs fanées, caressant de la griffe du râteau les parterres, dessinant sur le sable et les graviers des arabesques décoratives.
Les habitués, venus à diverses reprises lors d'années antérieures, veulent ravir une nouvelle fois leurs prunelles et imprimer leur mémoire à coup de photos, jamais rassasiés de cette foison de plantes et de couleurs environnante. Pour charmer les visiteurs et les retenir, les dirigeants proposent une grande variété d'articles dans l'ancienne échoppe agrandie, des livres richement illustrés dans la librairie, attirent les gourmets dans le jardinet-restaurant.
Ils présentent une exposition de « maroca-nités », de tableaux orientalistes et de photos dans le musée berbère, et offrent aux passionnés les affiches qu'Yves Saint Laurent envoyait à ses amis.
Photo 7 la fenêtre grillagée de la librairie.
Depuis la disparition de Pierre Bergé, le domaine dévoile aux visiteurs la demeure et le vaste jardin tout aussi merveilleux occupés par le mécène et Yves Saint Laurent lors de leurs séjours à Marrakech.
Les toitures vernissées et décorées reluisent au soleil.
Photo 8 les toitures vernissées.
Tout est ravissement … sous la surveillance discrète mais attentive de vigiles policés, vêtus d'un costume sombre du meilleur effet. Pas de faute de goût vestimentaire au royaume de la Haute couture.
Là encore des jeux de verdure et d'eau sur fond d'architecture mauresque dépouillée mettent en valeur une façade trapue, affinée par des frises, des céramiques, des teintes douces contrastant avec le rose omniprésent.
L'accès à la villa est réservé et cache les magnifiques collections de mobilier et d'objets d'art.
Photo 9 la façade de la villa.
Photo 10 l'intérieur de la villa.
Les allées quadrillées, toutes parfaitement entretenues, imposent un sens de circulation à la masse des promeneurs, pour les conduire ensuite vers la sortie et rejoindre le Musée Yves Saint Laurent au coin de la rue suivante.
Bâtiment monumental d'architecture moderne, de style arabo-contemporain, qui présente une partie gratuite pour des expositions photographiques d'art, temporaires, et une autre partie payante où sont exposés robes, bijoux, parures, dessinées par Yves Saint Laurent pour des femmes élégantes, célèbres, … et un peu fortunées.
Un auditorium, où se déroulent des projections et des conférences, et une bibliothèque complètent les salles d'exposition.
Photo 11 l'exposition temporaire de Leila Alaoui, photographe franco-marocaine assassinée à Ouaga-dougou.
Pas possible de passer à Marrakech sans faire halte dans cet ensemble hautement artistique.
Mais par pitié n'imitez pas le flot des touristes contingentés dans leur temps de parcours, qui entrent d'un côté et sortent de l'autre en photographiant et en filmant tout en marchant, trop pressés, trop bousculés par leur guide-accompagnateur programmé pour une visite de 30 minutes.
Majorelle, c'est une arrivée à l'ouverture des portes ou presque et au moins une demi journée de déambulation tranquille, bouche bée, les yeux grand ouverts, … et le coeur battant de bonheur. Majorelle, comme aiment à l'appeler ses admirateurs, est un diamant, et mérite qu'on l'examine sous toutes ses facettes.
Sortant de là, vous méritez une récompense pour cette matinée artistique et sportive à la fois.
Traversez la rue, installez vous au glacier-restaurant de la « Pause Gourmande » où chef et personnel vous régaleront de gourmandises culinaires dans un décor intimiste et confortable.
Photo 12 la carte de la Pause gourmande.
Là, attablés, puis repus, vous retrouverez votre souffle et laisserez décanter l'enchantement ressenti chez « Majorelle-Saint Laurent-Bergé ». Un trio d'enfer !!
Ainsi vous assurez une dégustation de photos à voir et à revoir, pendant des semaines.
Le retour sur terre se fait progressivement en gagnant le centre ville au milieu du vacarme des voitures contrastant avec le silence monacal du Jardin Majorelle.
Nos pas nous conduisent directement à l'ex-carrefour de l'Horloge (depuis longtemps disparue), en passant devant l'Hôtel des voyageurs, isolé depuis la démolition de l'Hôtel Franco-Belge et des immeubles voisins au profit d'une prochaine opération immobilière.
Photo 13 l'hôtel des voyageurs, isolé au milieu de terrains vagues promis à la reconstruction d'immeubles de sept étages.
La terrasse des Négociants nous permet de consommer un excellent théà la menthe réconfortant, et de balayer du regard l'ancienne Poste centrale, le Café de l'Atlas et La Renaissance, tout en assistant à la concentration des véhicules aux feux tricolores, qui ont remplacé l'agent « siffleur » du carrefour.
Photo 14 L'Atlas et La Renaissance.
Quelques cartes postales rapidement écrites sur le bord de la table, puis un essai infructueux de pénétration dans l'immeuble Louis.
Pas de chance : ici aussi les digicodes imposent leur loi aux importuns, et comme personne ne se présente pour y entrer, je renonce.
Photo 15 l'immeuble Louis.
En passant, un petit coup d'oeil appuyé sur la vitrine du magasin d'optique et photographie Wrédé, où les photos anciennes sont toujours présentes.
Photo 16 l'ancienne Poste centrale remplacée par un Office du Tourisme inopérant.
Il reste à remonter l'avenue Mohamed V jusqu'à la médina pour le moins, et même jusqu'à Bab Jedid pour arriver à l'hôtel Chems. Là aussi je renonce à cause d'une grosse fatigue. Que faire ? Prendre un taxi, héler une calèche ? Plutôt louer un véhicule pour jouir d'aller où bon nous semble, au moment choisi, et suivant l'inspiration subite. L'affaire est rondement menée chez Concorde Car, déjà sollicité lors des années précédentes. Une Clio flambant neuve conclut les négociations avec la volubile propriétaire, au français parfait, pour l'avoir étudié au lycée et à la faculté.
Ainsi nous faisons l'école buissonnière avant de gagner l'hôtel Chems, passant par la rue de Yougoslavie dans laquelle s'étiole progressivement l'hôtel Koutoubia, hôtel modeste aux grilles mauresques magnifiques encore présentes en 2011, disparues depuis. Maintenant sa décrépitude fait peine à voir : balcons de fer forgé détruits, grilles arrachées, fenêtres défoncées, … Une ruine en plein coeur de ville ! Toutefois un changement notable : les poubelles sont regroupées dans un box grillagé et ne débordent plus de matières pourrissantes sur le trottoir. Un poteau immense supportant une antenne bouche l'ancienne entrée de l'hôtel.
Photo 17 l'hôtel Koutoubia cerné de murs, en 2018.
Photo 18 l'hôtel Koutoubia avec ses grilles, en 2011.
Photo 19 le seul balcon survivant de l'hôtel Koutoubia (remarquer le travail de ferronerie exceptionnel)
Photo 20 l'hôtel Koutoubia résiste aux assauts du temps.
Les squateurs et autres vandales de récupération ont contraint le propriétaire à construire un mur d'enceinte et murer certaines ouvertures. Pourtant l'immeuble résiste contre les assauts de toutes sortes, son crépi abîmé laisse apparaître les pierres de la maçonnerie, et garantit sa solidité.
Un passant bien serviable, s'enquérant de notre curiosité, nous fournit quelques renseignements sur le quartier et sur cet hôtel en particulier. Effectivement, d'autres bâtiments anciens ont disparu de l'autre côté de la rue, remplacés par un parking au meilleur rapport financier. Et le propriétaire marocain, assez riche pour ne pas se précipiter, attend que les propositions d'achat partent à la hausse pour négocier le bâtiment de l'ancien hôtel.
Le quartier est en pleine transformation, reportons nous aux articles précédents dans le blog : destruction de la villa Bel Air, du Palace, du marché central, et bientôt sur l'avenue Mohamed V tout ce qui ne comporte pas sept étages aura « chaud aux fesses » : par exemple Wrédé et ses voisins.
Comme en France, le centre ville se dépeuple commercialement au profit de galeries commerciales extérieures et même du nouveau Menara Mall, immense près du jardin de la Menara, englobant sur 50.000 m2 commerces, hôtel de luxe, parc de jeux avec patinoire, restauration… et même une innovation très particulière : un souk intérieur aux échoppes luxueuses, à prix doux ?? sans marchandage ?? Made in Morocco, ou made in China ??
La mode des promoteurs est au neuf : bien ou mal construit, bien ou mal équipé.
Une chose est sûre, les dimensions des appartements diminuent, la hauteur de plafond « plafonne »à 2,50 m, les pièces sont exigües, et les sanitaires se multiplient. Toutefois il semblerait que les prix de vente se tassent par la faute d'une construction de logements classiques en trop grande quantité, au détriment des logements sociaux. La périphérie galope sur des kilomètres, et ce n'est pas fini.
Merci à Jean-Yves TRAMOY pour ce reportage sur un quartier du Guéliz qui change. par la mise en valeur de l'ancien jardin créé par le peintre Majorelle et de sa villa de style "Artdéco"par la disparition de certains hotels, villas et commerces, aussi de style "Artdéco" pour laisser la place à des grandes surfaces commerciales de "style mondialisé".
Pour comprendre l'histoire de la Villa Majorelle, avec des photos prises à différentes périodes entre 1930 et aujourd'hui cliquer sur le lien: Villa Majorelle