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CHKOUN ANA DE JEAN TAROT, ÉCRIT IL Y A 70 ANS À LA TARGA

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Chkoun_Ana

Les souvenirs d'autrefois à Marrakech s'estompent. Surtout les plus anciens. Nos correspondants nous avaient conté les années 60 ou 50, rarement au delà. Pouvait-on remonter plus loin dans les années 40 ?  

Jean-Tarot-SM

Grâce à Jean TAROT, qui dans sa correspondance a consigné le récit de son vécu, nous avons accès aux souvenirs d'un blédard, un targaoui. Aujourd'hui le blédard a 97 ans révolus. Merci à lui et à sa fille Blandine qui nous a envoyé des photos du bled pour illustrer sss lettres. 

© Rappelons que ce récit fait partie des éditions Chkoun Ana au titre protégé. Il ne peut être reproduit pour publication sans l'autorisation écrite (à demander à l'auteur du blog). Il doit être accompagné aussi de la mention de l'édition.

Jean TAROT est né en 1920. Il a d'abord  fait son service militaire aux spahis à Marrakech, démobiliséà l'Armistice, il a été intégré au 2eRTM et a fait la campagne de Corse, l'Italie, la campagne de France et l'Allemagne jusqu'en Autriche. (voir son récit). De retour à Marrakech après la guerre où il s'était distingué, il trouve un emploi de responsable d'exploitations agricoles. Il avait une expérience de ce type acquise près de Meknès. Il venait d'avoir 26 ans en aout 1946.  Au lieu de rédiger un Chkoun Ana classique en réunissant ses souvenirs, il se présente par des lettres qu'il a écrites il y a 70 ans révolus à des membres de sa famille. Il décrit son nouveau travail d'exploitant agricole à son frère André dans une lettre datée du 19 aout 1946 depuis La Targa. Deux autres lettres à sa mère de janvier et de mai 1947 complétent sa description de la vie exceptionnelle qui faisait le quotidien des pionniers de La Targa. En tout trois lettres de saisons successives dans l'activité agricole: aout, janvier, mai.

19 août 1946
La Targa
                                                                          Mon cher André,
 
Je te dis tout de suite qu'ici,il y a un travail très intéressant
mais qui ne me laisse guère de répit. Je t'assure que le soir, il faut que je prenne mon courage à deux mains pour écrire aux différents membres de la famille.
En effet, en dehors de la Targa, qui est la propriété la plus importante ( 110 orangers ) , je m'occupe d'une autre propriétéà sidi Abdel La Riah, qui se trouve à 19 kilomètres de Marrakech, et d'une autre propriété, aux M'rabtines, vaste étendue désertique, en voie de défrichement et de mise en valeur prochaine.

Abdallah-Zina

Heureusement, j'ai un très bon caporal indigène pour m'aider au point de vue surveillance et mise en route des ouvriers ( une quarantaine ) tous les jours.
Abdallah, Zina et les enfants
 
Dès mon arrivée, j'ai remis en état un moteur à mazout pour une station de pompage, il m'a donné pas mal de soucis, car il y avait 7 ans qu' il était abandonné ( cause guerre )
 
  Ici, la technique d'irrigation est totalement différente de celle de Ben Aissa....( près Meknès, où se trouvait mon père avant la guerre, de 1937 à 1938-39 )
où l'on se contente de mettre un moteur et une pompe en bordure de l'oued et de puiser l'eau à longueur de journée sans crainte de rester en panne d'eau, ici, c'est tout différent, pas d'oued, donc, il faut creuser des puits, qui atteignent parfois 20 ou 22 mètres de profondeur.....une fois ces puits creusés, l'on creuse des galeries souterraines qui suivent le cours d'eau, variant de 3 mètres à une centaine de mètres... c'est un travail de titan et onéreux !!!!
 
 A Riad Sultan, je suis descendu au bout d'un câble à 18 m de profondeur d'eau, et engagé le dos courbé vers une magnifique voùte de pierres, dans une galerie de 15 mètres de long avec de l'eau jusqu'au mollet, c'est assez impressionnant la première fois
 Les ouvriers travaillent à la pioche et emportent la terre dans des paniers qu'ils portent au puits, où ils sont remontés par un treuil, qui redescend des pierres pour étayer la galerie...
parfois, le débit est important, mais comme depuis 3 ans, il n'a presque pas plu, la nappe d'eau est en baisse, d'où l'obligation de creuser des puits et des galeries pour rejoindre la nappe.
 
En ce moment, à la Targa, nous creusons un puits avec de la dynamite, mais nous sommes obligés de pomper continuellement, car l'eau arrive en abondance et plus que l'on espérait
 
Un grand bassin de réserve d'eau de 15 mètres de long, 7 de large, 2m80 de haut, est en construction, cependant que nous venons d'installer un mécanisme de pompage électrique, le tout pour les orangers qui ont grand besoin d'eau.
 
Le gros travail, ce sont les distributions de grains, d'huile, de sucre aux ouvriers, cela fait une comptabilité qui n'est pas des plus faciles à tenir à jour.;

une partie du troupeau de vaches laitières

Je fais mon inspection des différents chantiers à moto, ne crois pas que ce soit un luxe, mais c'est une nécessité pour ne pas perdre de temps, car en dehors de tout ce que je viens de te dire, il y a une conduite à réparer, des travaux dans la maison, sans compter la surveillance de la traite, du troupeau etc..
Une partie du troupeau
 
En résumé, beaucoup de travail, peu de repos, mais passionnant..
 
J'ai visité cependant Marrakech avec l'oncle Jacques ( Jacques Lelong), c'est vraiment une jolie ville dans le désert!!.... il y a des splendeurs d'architecture et de sculpture....
le 2 janvier 1947, Jean Tarot écrit à sa mère (extrait du passage de sa lettre concernant son travail à la Targa)

Le tracteur de papa

..."Ici, toujours autant d'activités, et j'avoue que je n'ai guère le temps de chômer; les semailles se terminent, fortement retardées par la panne d'un tracteur vieux comme Hérode, qui heureusement, vient d'être remplacé par un tracteur Fordson tout neuf venant directement d'Angleterre. Le tracteur du chef

 

Ramassage des abricots

Nous venons de terminer la cueillette des oranges navels (70 tonnes ), nous commençons les citrons, puis nous aurons un moment de répit avant de cueillir les tardives. Il y a un gros travail de taille à faire sur les arbres, nécessaire si on veut avoir de la récolte l'année prochaine." 

La cueillette
Autre passage d'une lettre de mai 1947
                                 
                                                                Ma chère maman
De plus, voilà un mois et demi qu'il n'est pas tombé une goutte d'eau, le soleil commence à chauffer dùrement, il fait déjà + 34-35 degrés à l'ombre

Brigitte et Blandine 3 et 5 ans devant la moissonneuse batteuse

Nous sommes actuellement en grands travaux, rentrée des fèves, coupe et transport des fourrages artificiels et naturels,
dans 8 jours, je mets la moissonneuse batteuse dans le blé qui n'est pas trop mal cette année...
Brigitte et Blandine devant la moissonneuse de papa
 
Les orangers ont énormément changé sur l'année dernière, les fleurs sont déjà tombées et tous les fruits sont formés.. Inch Allah qu'ils tiennent jusqu'au bout,
la grosse question est de pouvoir les irriguer à fond, convenablement, et à temps voulu, ce qui n'est pas une mince affaire, car il y en a 6000, plus 2000 oliviers;

Champ d'orangers

 Champ d'orangers
enfin, heureusement, la ferme se rééquipe et se garnit de matériels qui faisaient complètement défaut.
 
Depuis 8 jours, nous commençons àêtre très inquiets, car les sauterelles sont à 2 kilomètres de Marrakech, des criquets ou enfants sauterelles sont chez les Gouillouds...
La lutte se fait au moyen de son empoisonné; j'espère qu'elles ne se mettront pas dans les arbres, car alors, ce serait un véritable désastre;
La laiterie se remonte et j'ai battu des records sur toutes les années précédentes, et cela avec moins de vaches, je fais une moyenne de 90 litres par jour
il y a également, 55 petits cochons qui ne demandent qu'à grossir, tout cela reste très bien, mais demande une surveillance de tous les instants
 
Je commence en ce moment à 5h le matin, je surveille la mise en route des ouvriers avec le caporal ( Abdallah ), ensuite je passe à la traite des vaches, je déjeune, ensuite, je pars faire le tour du bled, c'est à dire, aller voir l'équipe qui est aux irrigations, de là, aux fourrages, coupe et ramassage, puis au ramassage et battage des fèves, en remontant, je vérifie un chantier d'abattage de bois, puis je vais aux tomates ( 1/ 2 ha ), qu'il faut bouturer et irriguer tous les 3 jours
 
Voilà approximativement le travail d'une demi journée..;
Je viens de rentrer ce soir 2 tonnes de fèves, résultat d'une battue de 6 mulets, c'est beau !!!
© Ces lettres font partie des éditions Chkoun Ana au titre réservé. Elles ne peuvent être reproduites pour publication sans l'autorisation écrite de l'auteur et sans la mention de l'origine de l'édition: Mangin@Marrakech 07-07-2017.

Blandine et sa soeur Brigitte devant les citronniers Quelques années plus tard, Brigitte et Blandine Tarot dans l'orangeraie

Précieux documents que ces lettres, qui rendent compte de l'énorme travail qui fut nécessaire à la mise en exploitation de la Targa, dont les premières concessions ne furent attribuées qu'en 1921-1922. Merci à Jean Tarot d'avoir écrit ces lettres en 1946-47, nous lui souhaitons une bonne santé pour passerle cap des 100 ans et merci à Blandine d'avoir eu l'idée de partager ces précieux documents avec les marrakchis.
 
 
  Blandine 

 


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